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---Association des familles des victimes ---du 26 mars 1962 de la RUE D'ISLY à ALGER
14 février 2013

TEMOIGNAGES DE MILITAIRES

A. Alcaras et L Manduca

anciens policiers à la circulation

"Le matin du 26 mars 1962 nous assurions le service de la circulation. Nous avons reçu l'ordre, ainsi que plusieurs de nos collègues, de quitter notre service, d'aller déjeuner rapidement, et de nous présenter à 12 h 30 au plateau des Glières. Nous y sommes arrivés à quatre dans la 4 CV Renault de l'un d'entre nous. Nous avons laissé la voiture sous l'horloge de la Poste. Habituellement, dans la rue d'Isly, le stationnement était autorisé entre 12 h 30 et 13 h 30. On nous et confié la mission d'interdire tout stationnement afin de laisser la rue complètement dégagée. La circulation a été coupée un peu plus loin. Si nous avions su ce qui allait se passer nous n'aurions pas empêché les automobilistes de garer leurs voitures. Celles-ci auraient au moins fourni un abri à certaines personnes qui n'en ont trouvé aucun. Le nombre des morts et des blessés en aurait été diminué.

Les tirailleurs sont arrivés après nous.

La foule s'est rassemblée peu à peu et le cortège s'est ébranlé. Les militaires ont laissé passer. Nos deux collègues étaient restés à l'entrée de la rue d'Isly et nous étions sur la place Bugeaud. Le défilé est passé devant nous. Il couvrait toute la largeur de la rue d'Isly, les premiers rangs avaient déjà dépassé les Galeries de France. Les gens étaient calmes et nous sommes sûrs qu'ils n'étaient pas armés.

La fusillade s'est déclenchée. Deux de nos collègues se sont réfugiés dans un immeuble de la rue Chanzy avec un groupe de personnes qui ont couru dans les étages. Eux sont restés derrière la porte refermée. Des tirailleurs ont essayé d'enfoncer cette porte, ils ont enfin réussi à l'ouvrir et sont entrés très menaçants. Voyant les uniformes de police ils se sont arrêtés net.

Nous, nous étions toujours sur la place Bugeaud.

La rue d'Isly présente une longue ligne droite et les fusils mitrailleurs portent à deux ou trois kilomètres... les balles arrivaient jusqu’à nous, on les entendait siffler. Les F.M. placés à l'entrée de la rue d'Isly, des deux côtés, tiraient dans le dos des gens. Tous se sont pressés contre les magasins, mais les balles ricochaient contre le marbre des façades, brisaient les vitrines, et les glaces tombaient en faisant guillotine. Il y a eu une accalmie. Certains se sont relevés, ont voulu porter secours aux blessés ou s’enfuir et le feu a repris. Les ambulances sont arrivées, cela a fini par s'arrêter.

Nous nous sommes dirigés vers la Poste. Partout le sang. formait un ruisseau rouge. Au milieu de la rue d'Isly, au carrefour Pasteur, nous avons trouvé le Docteur Massonnat. Il était légèrement de biais, la tête tournée vers la Poste. Il portait une veste en daim marron foncé. Sa trousse médicale était près de lui., il tenait un garrot en caoutchouc dans la main. Très près de lui il y avait un vieux monsieur, avec sa boite crânienne complètement ouverte et la cervelle, à un mètre environ, déposée sur le macadam... horrible. Nous avons commencé à charger les cadavres, trois GMC ont été remplis. Un médecin vérifiait rapidement et on les empilait... environ 40 par camion. Les ambulances emportaient les blessés. A notre avis le nombre des tués dépasse largement les 80 qui ont été publiés.

Nous avons retrouvé la voiture de notre collègue sous l'horloge. La carrosserie portait trois ou quatre points d'impact. A l'intérieur, les coussins étaient littéralement hachés, on y voyait une multitude de petits trous et nous avons pensé que seules des balles explosives pouvaient occasionner de tels dégâts. Derrière la voiture se trouvait le corps d'un vieil homme. Il aurait dû y être à l'abri. On voit mal comment il aurait pu être tué là si on ne l'avait pas poursuivi!

Nous devions ensuite rejoindre le commissariat central. Sur le boulevard Carnot, le capitaine commandant un barrage prétendait nous empêcher de passer. Il a fallu que nous menacions de faire un rapport pour qu'il finisse par se laisser convaincre, après avoir fait vérifier soigneusement nos identités et nos cartes professionnelles.

Les Algérois ont déposé des fleurs sur les lieux du massacre. Les policiers ont reçu l'ordre de les enlever. Nous avons tous répondu : Ah non! Nous n'enlèverons pas les fleurs. Nous ne pouvons pas faire ça!" On nous a menacé en affirmant que c'était une désobéissance mais nous n'avons pas cédé".


COLONEL (ER) BOSVIEL

 

"Le massacre qui fit plus de cinquante morts et plus de cent cinquante blessés dépasse en horreur tout ce qu'on peut imaginer. Il présente des aspects extrêmement troublants en ce qui concerne le comportement du service d'ordre mis en place.

Annoncé par des tracts apposés en ville, le rassemblement devait se faire pour 15 heures au Plateau des Glières. La manifestation avait été interdite par le Préfet de Police.

A 13 heures, le service d'ordre (des tirailleurs pour toutes les voies d'accès menant au Plateau de Glières, sauf des C.R.S. à hauteur du boulevard Laferrière et avenue Pasteur) était en place.

On pouvait penser qu'il s'emploierait à éviter le rassemblement de la foule puisqu'il tenait les voies d'accès au Plateau des Glières. Il n'en fut rien. La foule fut laissée libre de se rassembler après une fouille par certains barrages.

Vers 14 h 15 plus de deux mille personnes étaient entassées sur le plateau.

Une grave question se pose : pourquoi le service d'ordre a-t-il toléré le rassemblement puisque la manifestation était interdite? Son rôle n'était-il pas d'éviter sa formation au lieu de laisser entrer les gens comme dans une nasse?

A 14 h 30, en avance sur l'horaire, le cortège, drapeaux en tête, se forma et se présenta au barrage de la rue d'Isly. Les hommes de tête discutèrent un moment avec l'officier (un lieutenant français) qui, après des hésitations, donna libre accès au cortège. Il fut acclamé par les manifestants qui se mirent en route en chantant la Marseillaise.

Ayant suivi la foule, je me trouvais vers la Place d'Isly quand j'entendis des rafales de mitrailleuses. Je quittai le cortège, fis demi-tour et revins sur mes pas. Arrivé à hauteur de l'avenue Pasteur, la fusillade faisait rage. Je vis des tirailleurs fusillant à bout portant tous les malheureux (hommes, femmes, enfants) passant à leur proximité. Tous les postes placés aux différents endroits tiraient, vers la Poste, rue d'Isly, avenue Pasteur, escaliers Lacépède. Partout des corps allongés dans des flaques de sang. La fusillade dura environ quinze minutes. Je vis des tirailleurs recharger leurs armes...

On a parlé d'affolement de la troupe. Ce n'est pas vrai. J'estime que les tirailleurs savaient pertinemment ce qu'ils faisaient. Je les ai commandés pendant plus de trente ans et je connais leur comportement. On leur avait certainement dit qu'on allait à cette manifestation et que l'on tirerait sur la foule. Qu'ils n'aient pas attendu l'ordre de leur chef qui, entre parenthèse, semble n'avoir eu aucune autorité, cela est vraisemblable ; mais le fait de leur avoir dit que l'on allait tirer a suffi.

D'autre part, pourquoi les armes étaient elles chargées avant la manifestation ? Il ne s'agissait pas d'aller au combat. Il s'agissait d'un service d'ordre. Le rôle de la troupe, en ce cas, n'est-il pas de faire l'impossible pour ne pas arriver à se servir des armes?...

De tout ceci il résulte :

  • que le rassemblement de la manifestation a été toléré par le service d'ordre, malgré l'interdiction de la Préfecture de police.
  • La foule a été groupée comme dans une nasse sur le Plateau des Glières.
  • Aucune provocation, aucun coup de feu quel qu'il soit n'a été tiré, ni de la foule, ni des terrasses, ni des balcons.
  • Le cortège s'étant présenté au premier barrage de la rue d'Isly, est passé librement avec l'autorisation de l'officier. Aucune tentative de forcement n'a été faite.
  • Le feu a été ouvert par le groupe du premier barrage, celui qui avait laissé passer le cortège. Le tir a été effectué dans le dos des manifestants.

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